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- Divorce paternel -

Dernière mise à jour : 15 avr. 2024

Dans cet immense fauteuil en cuir, aux accoudoirs froids et tendus, Simon se sentait minuscule. Ses pieds ne touchaient pas le sol et sa tête reposait sur le dossier du siège. Son père, bien plus grand que lui, n’avait pourtant pas l’air plus à l’aise, dans le sien. En face, un bureau massif les séparait d’un homme encravaté qui louchait entre ses feuilles et l’horloge au mur. Les piles de documents qui ornaient chaque coin de la pièce indiquaient que chaque minute laissait courir une nouvelle affaire et l’éloignait de sa fin. Et justement, là, dans ce local sombre, la fin approchait.


-       Eh bien, il me semble que tout est en règle, a prononcé l’encravaté qui louchait. Il ne vous reste plus qu’à signer ici, là et encore ici.


L’homme a tendu un stylo à Simon, en poussant du bout de l’index le tas de feuilles jusque sous le menton du gamin. Il y figurait son nom et celui de son père. Dans deux colonnes distinctes, comme pour bien signifier la séparation. Car c’était de cela qu’il s’agissait : une séparation.


Tout avait commencé en rentrant de l’école. Simon, dix ans et demi, le cartable sur une épaule et le ballon sous le bras était arrivé à la maison avec un large sourire. Son papa avait été le chercher à l’école. Sa maman était déjà rentrée de son boulot. Simon avait traversé le salon pour embrasser sa mère. Dans la même foulée, il l’avait rassurée en précisant que oui, il avait mangé son quatre-heures dans la voiture. Oui, il avait suffisamment bu durant la journée. Et oui, il avait des devoirs. Mais là, il voulait jouer avec son ballon dehors. Sa mère lui avait donné son accord avec la condition de garder son manteau. À peine quelques secondes plus tard, Simon s’envolait sur le gazon, le ballon au pied et le manteau au sol.

Le papa fronça les sourcils. Ce n’était pas du tout ce qui avait été prévu dans la voiture. Il ouvrit la porte du jardin et appela son fils. « Non ! Je ne suis pas d’accord. Je t’ai dit dans la voiture : d’abord tes devoirs ! Chaque fois, tu traines trop et tu n’arrives pas à les finir ! Allez, zou ! Devoirs ! ». Mais Simon protesta en sortant la carte « Maman m’a dit que j’pouvais ! ». Son père contra l’attaque par le rappel « Je t’avais déjà prévenu dans la voiture ! » en jetant un regard vers la maman. Celle-ci répondit d’une grimace et appuya le papa en direction de Simon : « Ah, tu ne me l’avais pas dit ! Allez ! Plus vite tu finis tes devoirs, plus vite tu pourras jouer ! ».


Le garçon stoppa son ballon. Le plaisir et l’envie venaient de disparaître. Et dans le même élan, un combat commença avec comme étendard une colère grandissante envers son père. Le sentiment de Simon était simple. Jamais on ne le laissait jouer directement après l’école. Jamais il ne pouvait passer par ce moment d’atterrissage de fin de journée. Jamais il ne pouvait se défouler avant d’attaquer des exercices de tortures mentales qu’il avait déjà subies en cours. Le papa restait figé. Il ne fallait pas qu’il baisse les yeux, ni sa garde. La dispute venait de commencer. Son ressenti était simple. Il connaissait son fils par cœur. Il savait à quel point c’était difficile de se mettre à travailler devant ses devoirs. Sa fâcheuse tendance à allonger le temps en se plaignant à chaque virgule, à chaque énoncé, en maudissant l’invention de l’école. Mais il fallait qu’il fasse ses devoirs.


C’est là que Simon a prononcé la phrase fatidique : « Je ne veux plus que tu sois mon père ! ». Et la colère de son papa n’a pas oscillé d’un poil. Il a répondu : « Très bien ! J’appelle mon avocat. Nous allons régler ça au plus vite ! ».


Alors, quand Simon s’est retrouvé devant cette feuille indiquant le divorce de son père et lui, il s’est dit que c’était peut-être un peu exagéré. Tout en gardant sa fierté dans le regard, il a grommelé : « Ça va… Je vais les faire mes devoirs ! ».



Christobalt Mitrugno

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