top of page

- L'heure du thé / 05: Rêve d'eau claire -



Ce matin-là, l’inspecteur Matuvu avait décidé de retourner s’imprégner une dernière fois de l’ambiance bungalow et camping. Le bungalow de Marlène avait été fouillé de fond en comble par l’équipe judiciaire avant d’être scellé. Comme pour le reste, tout était trop lisse. Son bungalow était d’une banalité crasse. Comme dans tous les bungalows du camping les meubles en stratifié d’un autre âge s’accordaient péniblement aux décorations de mauvais goût. Les tableaux de dauphins plongeant dans un coucher de soleil, les bouquets de fleurs artificielles décolorés par les années habillant les pieds d’une statuette de la Vierge en plastique (fluorescente, bien sûr), les napperons en dentelle jaunie, etc. Enfin bref, le comble du kitch mais le symbole des vacances.


Marlène, malgré son statut privilégié d’habituée, n’avait jamais amené d’effets personnels pour décorer son bungalow. Selon Monsieur André, elle s’était toujours contentée de ce qui était à sa disposition. Elle n’avait jamais seulement amené que quelques éléments de vaisselle. Monsieur André lui avait d’ailleurs proposé de lui rembourser ses achats tant cela lui avait paru utile et nécessaire. Dans sa valise, que l’essentiel. Et lorsque l’on parle d’essentiel dans un campement de nudistes, cela se compose presque uniquement du nécessaire de toilette.


Les informations sur la victime étaient maigres. Rien de révélateur, rien d’intriguant. La banalité incarnée. De plus, l’empoisonnement à retardement de la victime compliquait les recherches. L’inspecteur Matuvu avait retracé son emploi du temps grâce aux divers témoignages. Rien d’inquiétant n’en était ressorti. Elle avait vu les mêmes amies dont les affaires avaient été fouillées par prudence. Mais rien. Aucune trace du poison. Aucun alibi. Seulement des témoignages. Catherine, Thérèse et Marlène s’étaient rencontrées un peu par hasard au camping. Le temps avait fait les choses et leurs vacances partagées les avaient rapprochées. Pourtant, elles ne se côtoyaient que pendant l’été. Le reste de l’année, chacune vaquait à ses occupations professionnelles sans besoin de nouvelles l’une de l’autre.


En comparaison à ses deux comparses exubérantes, Marlène était la plus calme et la plus taiseuse. Jamais le mot de trop, jamais un mot plus haut que l’autre ; elle apparaissait comme une femme bien en phase avec elle-même. Elle parlait peu d’elle-même et son passé était bien souvent mis à la trappe ou vaguement abordé. Les brèves allusions qu’elle y avait fait laissaient à penser qu’il n’avait pas toujours été facile. Son dossier officiel ne faisait que confirmer ces impressions. Depuis, sa prime jeunesse, Marlène avait connu les institutions sous toutes leurs formes et les mésaventures liées qu’on ne souhaite jamais à personne. Malgré ses silences, elle avait l’air de s’en être plutôt bien sortie.


En effet, Marlène, après avoir mené de brillantes études, s’était établie comme avocate et son talent avait assis sa renommée. Déterminée et maitrisant les moindres alinéas juridiques, Maitre Brismé (c’est ainsi qu’on la connaissait en dehors du camping) était une avocate redoutable. Matuvu était une fois de plus dépassé par cette affaire. Celle à qui on ne trouvait aucun ennemi au camping se retrouvait maintenant avec une liste sans fin de potentiels ennemis dans la sphère professionnelles. Jalousie ou vengeance devenaient dès lors les deux mobiles les plus plausibles.


Bernie était accablé. La chaleur l’oppressait dans la bungalow. L’immensité du nombre de dossiers qu’il allait devoir analyser pour trouver une piste le submergeait. Il fut pris d’un vertige et s’assit. Il avait besoin de fraicheur. D’une information limpide, aussi claire que de l’eau de roche. Il en rêvait. Mais avant de résoudre cette enquête, Bernie rêvait d’un grand verre d’eau claire.


Héloïse Bertrand

Comments


bottom of page