top of page

- L'heure du thé / 04: Le secret d'un été chaud -

La journée de l’inspecteur Matuvu n’était pas prête d’être terminée. Après avoir enchaîné les témoignages peu concluants, il se rendit auprès du légiste. La route jusque Béziers lui permit de souffler un peu. Toutes les informations collectées et tous les détails observés se heurtaient sans relâche dans son esprit. Rien ne faisait sens. La victime paraissait appartenir à un autre monde. L’inspecteur ne supportait pas être dépassé par les évènements et pourtant aujourd’hui, il ramait dans un océan de flou.


La température de la morgue contrastait avec la météo étouffante. L’inspecteur était toujours secoué par ses visites au « frigo ». Il luttait contre l’envie de se pincer le nez. Le paysage olfactif lui demandait un long moment d’acclimatation. Le légiste, de marbre, feuilletait son rapport aux côtés du corps qu’on devinait allongé sous le drap blanc. Matuvu était toujours impressionné par cet homme élancé que rien ne semblait atteindre, pas même le temps. Sa chevelure grise trahissait ses années d’expériences mais il semblait être figé dans le temps. Immuable. L’inspecteur l’imaginait parfaitement traverser les siècles avec la même attitude, le même sang-froid. « Bonsoir Bernie ». Ces mots sortirent l’inspecteur de ses élucubrations et le piquèrent gentiment. Personne d’autre n’osait l’appeler par son prénom. Il ne l’avait jamais guère apprécié ou plutôt il ne l’avait jamais vraiment assumé. Le pourpre aux joues, il le salua à son tour : « Bonsoir Charles ». Bernie se surprit à penser, une fois de plus, que tout chez le légiste asseyait son charisme.


Charles, ses lunettes de vue posées sur le haut de son crâne, commença la lecture du bilan. Lividité, rigidité, putréfaction, conditions climatiques ; les premiers facteurs avaient déjà dévoilé l’heure approximative de la mort. Bernie était sceptique. Rien sur du corps ne témoignait du meurtre mais Charles n’était pas au bout de ses explications. Choc hypovolémique, abrus precatorius … Bla. Bla.Bla. Le jargon médical perdait Bernie. Il ne comprenait nullement les causes de la mort. Charles vulgarisa enfin la conclusion à laquelle il était parvenu après dissection, atelier de petit chimiste et autres manutentions. Enfin bref, Marlène avait été empoisonnée à l’abrine un ou deux jours avant sa mort. Et oui, c’était la petite particularité de cette substance…une mort à retardement. Selon le légiste, le meurtrier avait dû être généreux dans le dosage, Marlène n’avait pas fait long feu après ingurgitation. « Parce qu’avec ce machin-là plus ça tarde, pis c’est. » Bernie qui supportait déjà mal l’ambiance de la morgue, blêmit face à tant de détails morbides. Il était temps que sa journée se termine.


Au camping, Thérèse n’avait pas bougé. Elle se terrait derrière la persienne, à l’affut du moindre bruit, tiraillée par ses angoisses. Elle essaya de lire quelques pages, tenta un sudoku mais rien n’y faisait. Son esprit s’égarait sans cesse. La solitude face à l’épreuve la rongeait. Elle se posta à sa fenêtre, écarta de ses doigts vernis deux petits battants de bois. Cette furtive apparition n’échappa pas à la voisine qui d’un geste rapide lui fit comprendre de se joindre à elle. Thérèse fut ravie de cet échappatoire proposé par la voisine : Catherine. Catherine faisait elle aussi partie de ces habitués, de ces meubles du camping. Thérèse saisit son sac et ne se fit pas prier plus longtemps. Le soleil et la chaleur la surprirent lorsque qu’elle passa le seuil de sa porte mais la surprise ne fut qu’un instant volatile. Catherine l’accueillait déjà, le thé sur la table et la table mise.



Catherine servit une tasse à Thérèse et se mit à parler. À parler, parler, parler, parler sans cesse, sans même que Thérèse ne puisse intervenir. Ça plaisait à Thérèse, ça l’empêchait de penser. Son esprit emporté par le flot de paroles, lâcha prise un moment. Depuis qu’elle venait en vacances au camping, la voisine n’avait pas changée. Catherine avait un style exubérant (et oui c’est possible chez les naturistes). Elle ne pouvait s’empêcher de porter maint bijoux et accessoires atypiques dont la teinte variait entre le rose et les nuances de rouges. Grands chapeaux ou longs colliers, tout y passait. Le camping passé en revue, son discours achevé mais la mine de Thérèse toujours aussi déconfite, Catherine s’exclama : « Aux grands maux, les grands remèdes ! » avant de disparaitre à moitié dans le placard. Elle en ressortit aussi vite, une bouteille de Brandy à la main qu’elle déboucha aussi vite que Lucky Luke ne tire et « corsa un brin » leurs thés. À ce spectacle, Thérèse ne put résister, elle explosa de rire. Ouvrit les vannes, lâcha la pression et alterna entre rire et larmes. Une fois calmée, elle entama enfin une vraie discussion. Elles se remémorèrent bon nombre d’anecdotes et de souvenirs. Il fallait dire qu’avec Catherine et Marlène, elle avait partagé beaucoup de choses. C’étaient d’ailleurs les seules vacancières avec qui elle gardait contact, une fois les vacances terminées. Combien d’été n’avaient-elles pas passés ensemble sur les plages ? Quelles bêtises n’avaient-elles pas faites ? Il n’y en avait pas une pour rattraper l’autre. Jamais un moment d’ennui, toujours de quoi pimenter leurs journées. Il fallait dire qu’à elles trois, elles possédaient le secret d’un été chaud.


Héloïse Bertrand

Comentarios


bottom of page