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- Lire au coin du feu -

Dernière mise à jour : 15 avr. 2024

Les habitants de la maison avaient connu quelques appartements avant de découvrir celle-ci. Des années à chercher le coup de cœur, des mois à visiter pour tomber amoureux. Et pour ce joli logis, c’est l’immense cheminée qui avait attiré le regard, qui avait créé l’excitation en un murmure de « C’est elle. C’est cette maison ! ».


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Cela faisait donc quelques temps qu’ils avaient vidé les derniers cartons et qu’ils pouvaient appeler cet endroit « chez-nous ».


Etrangement, toute l’énergie du foyer résidait autour de la cheminée. Aux premières chutes de températures annonçant l’automne, ils y avaient placé des bûches. Et tout naturellement, les habitudes du quotidien se rapprochaient des flammes.

On mangeait au coin du feu, on discutait, on jouait, on s’aimait et surtout, on lisait. Ces gens lisaient beaucoup. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai atterri dans cette famille. Moi, simple roman, à la couverture égratignée. J’avais voyagé entre beaucoup de mains et beaucoup d’yeux pour toujours finir sur des étagères de seconde main.


Maintenant, c’était sur l’une des planches fixées au mur, parmi des cousins et cousines que j’attendais qu’on me lise. Les jours défilaient et les sélections se déroulaient plus ou moins de la même façon. Ces gens s’approchaient de nous, ajoutaient quelques nouveaux membres et finissaient par relire nos tranches, nos couvertures. Comme un érotisme sélectif. Une main m’agrippa. J’avais été choisi. Et comme les autres, je me retrouvai dans le canapé, sagement lové dans la concentration de mon lecteur.


C’est là que je l’entendis pour la première fois.


« Approche-toi. Viens plus près ! ».


C’était presque un chuchotement. Une invitation hypnotique et chaleureuse. Le feu m’appelait. Il n’y avait pas de doute là-dessus, c’était bien les flammes qui me priaient de les rejoindre. C’étaient des paroles si douces, si cordiales et ardentes. Je n’avais qu’une seule envie, y succomber. Mais je restai calmement dans les mains de mon lecteur. Et pourtant, le souffle dévorant continuait de me charmer. « N’aie pas peur. Approche. Rejoins-moi ! ».


Après avoir voyagé sur plusieurs chapitres, on me déposa sur la petite table au bord du canapé. Il n’y avait même pas un mètre entre la cheminée et moi. J’attendais qu’on veuille bien m’ouvrir à nouveau et se replonger dans mon récit. Une photographie des gens de la maison se trouvait entre mes pages. J’aimais beaucoup cette sensation d’un bout d’histoire coincé dans la mienne.


« Approche-toi. Viens ! Tu seras bien avec moi. Je sais que tu en as envie ! ».


Les chuchotements crépitaient encore dans ma direction. Et plus je les entendais, plus je voulais les écouter et me laisser bercer. C’était si réconfortant et si excitant en même temps.


« Allez, je t’attends. Viens. Tu seras tellement bien avec moi, je t’assure ».


Comment ne pouvais-je pas le croire ? Un si beau feu qui voulait tant me rencontrer. Juste un instant. Juste le temps d’une caresse, d’un baiser. Je n’avais jamais vécu ça auparavant. C’était comme un rêve.


Mais à aucun moment les gens de la maison ne m’ont laissé approcher le coin du feu de trop près. Ils réservaient cette faveur aux journaux de la semaine, aux dernières factures ou à des prospectus que l’on ne lit jamais. Sur nos étagères, nous étions des élus. Eloignés des murmures de flammes qui nous réclamaient de loin. L’envie d’y goûter ne me quittait plus. Mais comme disaient mes comparses de la littérature, je n’avais pas fini de vivre et de faire rêver les lecteurs et lectrices qui me découvraient, au coin du feu.


Christobalt Mitrugno

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