Rêve d’eau claire
- Jean-Jacques

- 8 juil. 2024
- 4 min de lecture

Une nuit difficile, un réveil qui sonne beaucoup trop tôt. Les yeux encore très attachés au coussin qu’ils viennent à peine de quitter, les joues marquées par les plis d’un sommeil profond commencé bien trop tard, Charlotte reste un moment en position assise sur le bord de son lit. Aujourd’hui, François dort encore, il est rentré au milieu de la nuit à la suite d’un problème technique sur son lieu de travail. Charlotte n’a pas osé le réveiller chaque fois que Simon se plaignait de ces fichues dents qui ont décidé de sortir pratiquement toutes en même temps. Et pourtant, ce matin, alors que ses hommes dorment encore, Charlotte se lève, le corps endolori, elle doit conduire son petit bonhomme à la crèche car elle a plusieurs rendez-vous de prévus. C’est donc en traînant un peu les pieds qu’elle se faufile vers la salle de bain portant comme un fardeau les sous-vêtements qu’elle enfilera par la suite.
Une main tendue vers le mitigeur, elle sélectionne la température de l’eau et ouvre le robinet laissant tomber une pluie glacée sur sa main, elle tire son bras d’un mouvement réflexe et se cogne contre la paroi de douche. La journée commence bien se dit-elle. Le temps d’ôter sa nuisette et la vapeur qui sort de la douche lui indique que l’eau est à bonne température. Prudente, elle glisse un pied à la fois sous cette cascade salvatrice qui, comme elle l’espère, lui redonnera l’énergie nécessaire pour affronter la journée qui ne fait que commencer.
Cette pluie chaude recouvre à présent l’ensemble de son corps, elle ferme un peu les yeux et replonge presque instantanément dans les bras de Morphée, son corps se relâche si rapidement qu’elle en sursaute. Ses paupières s’ouvrent grandes et ses pupilles se dilatent. Charlotte attrape le flacon de gel douche, en verse un peu sur une fleur de bain et commence à recouvrir sa peau d’une pellicule de mousse à l’odeur de vanille. Cette caresse sur sa peau éveille ses sens comme un manque que cette éponge naturelle vient subitement raviver, elle passe et repasse sans cesse, formant de petits mouvements circulaires sur chacune des parties de son anatomie comme un rythme infernal ajoutant du savon pour ajouter le plaisir du sens olfactif à celui du toucher afin d’atteindre un niveau de concupiscence qui, dans un premier temps, comme une montée d’adrénaline, exulte par les pores de sa peau, tendant ses membres en en raidissant ses muscles. La bouche ouverte, elle soupire profondément. Une fois la tension évaporée, le manque de sommeil se fait à nouveau vite ressentir et c’est avec beaucoup de peine qu’elle finit par sortir de la douche, se sécher et enfiler ses vêtements.
Charlotte sort de la salle de bain et se dirige vers la machine à café, autre appareil salvateur pour le réveil des âmes endormies. Le tic-tac de l’horloge pendue à côté lui fait lever la tête. Elle n’a pas vu le temps passer, elle attrape un Travel Mug, le remplit de café, enfile sa veste, prend son sac à main, cherche un instant ses clefs qu’elle avait déjà attrapées dans la main gauche quelques secondes auparavant et lève les yeux au ciel lorsqu’elle finit par s’en rendre compte. Puis, à pas de loup, elle quitte la maison en prenant soin de ne pas faire de bruit en refermant la porte d’entrée. Les yeux rivés sur la route en se forçant à les maintenir ouverts, Charlotte parcourt les vingt kilomètres qui la séparent de son lieu de travail, elle trouve qu’elle a beaucoup de chance de travailler aussi près de son domicile et pourtant aujourd’hui la distance lui semble interminable. Charlotte souffle une bonne fois, lorsqu’elle atteint enfin le parking de son entreprise. Elle sort son badge, passe les différents portiques de sécurité, monte par l’ascenseur au cinquième étage et s’installe enfin à son bureau. Elle regarde sa montre, il lui reste une bonne trentaine de minutes avant son premier rendez-vous, ce qui lui permet de revoir le dossier tranquillement en buvant un nouveau café. À peine cette pensée quitte-t-elle son esprit que son téléphone de bureau retentit. C’est Emma, sa secrétaire.
« Madame Willems, votre mari sur le 3. »
Au moment où Charlotte reçoit cette annonce, elle redescend brutalement sur terre et se revoit quitter la maison, seule, un café à la main. Elle refait alors, dans sa tête, tout le trajet, passant devant la crèche, là où elle devait déposer Simon ce matin.
« Madame Willems ? »
« Oui, je le prends merci » les larmes lui montent aux yeux, elle s’attend au pire, son cœur cogne si fort dans sa poitrine qu’elle a l’impression qu’il va sortir d’un coup.
« Dure nuit mon amour ? » demande François.
Pour toute réponse François entend un sanglot.
« Rassure-toi mon amour, tout va bien, Simon est avec moi, je vais le garder avec moi aujourd’hui, j’ai prévenu mon patron et la crèche. Tu as oublié ton téléphone à la maison, mais tu as pris la télécommande de la télévision, cela m’a fait comprendre que tu avais dû avoir une nuit difficile. »
Charlotte sanglote à nouveau, incapable de prononcer le moindre mot.
François poursuit : « J’ai téléphoné à ma grand-tante, il paraît qu’elle fait des prières pour que les enfants n’aient plus mal aux dents, qui ne tente rien … »
Entre deux sanglots, Charlotte parvient presque imperceptiblement, à marmonner un merci.
« Courage pour ta journée mon amour, je t’aime »
Ce matin, Charlotte rêvait d’eau claire, mais sa réalité c’est François, son homme, le père de son enfant, son ange gardien, son amour.
Jean-Jacques Laduron



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