- Saga Matuvu / 03: Equilibre précaire -
- Héloïse
- 8 mai 2024
- 3 min de lecture

Le lendemain, lorsque Thérèse se réveilla, la lumière du jour commençait seulement à poindre entre les fines lattes du store vénitien. Elle aurait préféré dormir jusque midi au moins, car la perspective d’une longue journée ne lui plaisait guère. Elle se leva malgré tout. Elle se faufila dans la pénombre rassurante du bungalow et au radar rejoignit la machine à café. Elle avait la bouche pâteuse à cause des somnifères de la veille et mettait tous ses espoirs dans une bonne tasse de café pour en estomper les effets. Son état vaseux de ce matin-là lui rappela certains lendemains de veilles de sa jeunesse. Elle sourit. Ce moment suspendu fût bref. Un rictus gagna son visage lorsqu’elle se mit à envisager le tournant que risquait de prendre sa journée. Elle profita alors de ses dernières minutes de répit.
En effet, l’ambiance au camping ressemblait indubitablement à l’atmosphère électrique qui vous gagne avant un orage. Où l’humidité et la chaleur se lient pour mieux oppresser. Où des centaines de mille petites mouchettes noires tourbillonnent dans les airs et se busculent et s’agglutinent autour des visages. Où la moindre étincelle, où le moindre hic ferait péter le chaos. Et bien, ce matin au camping c’était pareil. Le temps était lourd et les nudistes s’étaient employés au rôle des mouchettes d’orage. Ils tournaient et erraient à travers les allées sans trop savoir le but exact de leur marche et s’arrêtaient en s’agglutinant. Lors de leurs nombreuses allées et venues, ils semaient derrière eux nombre de nouvelles et d’informations. Les « on dit » allaient bon train, amorçant toujours un peu plus une bombe qui ne demandait qu’à exploser.
Il ne fallut pas attendre midi pour que le camping gronde de partout. Les regards accusateurs et les délations matinales n’avaient laissé personne indifférent. Si bien qu’au moment du repas, tous rentrèrent chez eux. Doutant à chaque seconde du voisin, suspectant amèrement l’un qui suspectait l’autre et ainsi de suite. Les vieilles rancœurs en avaient profité aussi pour se glisser entre les tentes et les caravanes. Les règlements de compte se mêlaient aux accusations attisant les tensions. Un vrai bordel mais pas joyeux pour un sou.
Matuvu ne fût nullement surpris en revenant sur les lieux. C’était la suite typique. Le moment où tout le monde pensait avoir vu quelque chose et ne manquait pas l’occasion pour balancer la moindre information. Les liaisons adultères, les disputes pour un emplacement, les apéros ayant quelque peu dégénérés devenaient tous des mobiles qui se devaient d’être partagés à l’inspecteur. Même si dans la plupart des cas, Madame Marlène n’avait rien à voir avec l’histoire. Dans la plupart des cas on ne la connaissait même pas. L’inspecteur Matuvu avait sa théorie sur le phénomène. Il pensait que la plupart se découvrait une conscience dans l’épreuve du stress et que cette dernière se devait d’être apaisée. Ainsi tous cherchaient à vider leur sac, meurtre ou pas meurtre.
Ce phénomène avait quelque chose de drôle et de pathétique à la fois. L’inspecteur enchaina les séances ragots une bonne partie de l’après-midi. Il rencontra divers habitués des vacances au Cap, se familiarisa avec les codes du nudisme et se laissa bercer par les multiples histoires, les liens et les amitiés entre les vacanciers (qui n’en étaient visiblement plus vu que le moindre secret avait été dévoilé). Durant ses années de carrière l’inspecteur avait appris que, bien souvent, c’est ceux qui en disent le plus qui en savent le moins. Cependant, il ne fallait pas sombrer dans les idées reçues et l’inspecteur Matuvu se devait de rester objectif et attentif aux moindres informations. Cette deuxième tâche devenait moins aisée au fur et à mesure que les heures défilaient. Sa capacité d’attention arrivait doucement à saturation.
L’enquête avançait peu. Le camping bouillonnait. Matuvu marchait sur un fil. Les amitiés morflaient. L’équilibre était précaire.
Héloïse Bertrand
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