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- La Cité / Episode 1 -

  • Photo du rédacteur: Alizé
    Alizé
  • 30 avr. 2024
  • 6 min de lecture

** Année 7 : Programme d’effacement


"Chers Citoyens,


L’ensemble des Officiers, le Conseil de la Cité et moi, Grand Ordonnateur, sommes fiers de partager avec vous les résultats du programme « Effacement et renouveau » lancé il y a 7 ans. Les conclusions sont positives et nous autorisent à continuer l’expérience. Le taux de rebond est supérieur à ce qui avait été pronostiqué par le pôle d’experts et les retours citoyens dépassent nos espérances.

Merci à tous d’avoir voté pour cet aménagement. Longue vie au programme et que votre épanouissement reste au cœur de nos réflexions collectives.


Le Grand Ordonnateur de la Cité"

 

La Cité aime à penser que l’introduction du Programme d’effacement s’est fait sans heurts. Elle a tendance à occulter les premières manifestations et autres actions des syndicats citoyens qui s’y opposaient farouchement. Aux premières annonces, la population a d’abord été terrifiée par la procédure. La confiance a mis le temps à s’installer. La majorité a attendu que quelques téméraires (ou désespérés, tout dépend du point de vue) aient testé et approuvé la démarche pour finalement accepter l’idée.


Depuis, les demandes affluent en nombre et les services créés pour faire face aux nouveaux dossiers croulent sous le travail.   


Dans un contexte social catastrophique où la misère et le malheur étaient prédominants dans la Cité, les dirigeants ont dû faire face à une énorme crise humanitaire. Le nombre de démissions, de suicides, de décrochage sociétal atteignaient des taux sans précédents. Le Grand Ordonnateur a donc été élu avec comme unique mission : Rendre le gout de vivre aux citoyens.


C’est une première dans le monde, la Cité planchait depuis des années sur la préservation de la santé mentale de ses électeurs et sur des solutions à offrir pour que chacun trouve sa place et vive sereinement.


Après, entre autres, l’aménagement des semaines de travail et la création de nouveaux emplois, le pass liberté a été mis en circulation pour les citoyens voyageurs. L’accès aux droits à la famille, au droit à la solitude, au droit à la stérilité a été facilité. L’accès au logement léger et communautaire a été généralisé. Le système économique a été réinventé et les salaires remplacés par des cartes créditées en fonction de l’activité du citoyen. Néanmoins, la révolution a clairement été l’invention du Programme d’effacement.


Ce programme donne le droit à tout citoyen d’effacer purement et simplement les souvenirs de sa vie afin de pouvoir se réveiller vierge de toute expérience, choix et route tracée afin de pouvoir se créer une toute nouvelle vie.


La procédure prend une année pendant laquelle le candidat à l’effacement prépare sa renaissance. Il complète un cahier des charges, passe des entretiens d’embauche, s’inscrit dans un cursus de formation ou de mobilité libre, clôture ses crédits, prend ses dispositions pour mettre un terme à sa vie en cours et poser les bases de la nouvelle.


Une fois que tout cela est effectué, une célébration pour la famille proche est organisée pour lui permettre de faire le deuil de la personne qui souhaite se réinventer. A l’issue de cette célébration, L’Officier de la cité procède aux injections.


La solution diffusée dans les veines des proches permet de leur faire accepter la perte d'un être cher, mais dont ils n’ont plus vraiment le souvenir. Comme la douce réminiscence de quelque chose qu’on aimait, mais dont on ne se souvient plus. Cette disposition a dû rapidement être mise en place car lorsque les proches croisaient, par hasard, au détour d’une rue, la nouvelle version de l’effacé, ils la reconnaissaient et étaient alors transpercé par le chagrin et l’envie de renouer le contact. Le bonheur de l’un, ne pouvait être accordé au dépend de celui des autres.


Ensuite vient le tour de la personne candidate à l’effacement. Elle est confortablement installée dans une chambre du Centre des Opérations. Celle-ci est composée d’un lit, d’une table de nuit et d’une table sur laquelle sont posés différents effets. Une nouvelle tenue, une nouvelle carte d’identité avec un nouveau nom. Une carte bancaire préalablement chargée de nouveaux crédits bancaires, ainsi que tout autre élément utile à sa nouvelle vie et surtout… Un courrier.


Une lettre de l’ancienne version du candidat expliquant le contexte de son effacement et ce qui a été prévu pour la suite. A ce courrier est joint un formulaire de la Cité détaillant minutieusement le cadre de la Société et les procédures mises en place pour que chacun s’épanouisse. L’effacé se réveillant aussi frais qu’un enfant, il est essentiel de lui rappeler le cadre dans lequel il va évoluer.


A son réveil, l’effacé doit prendre connaissance de tout cela. Au terme de la journée, il est reçu par un groupe d’officier pour un entretien à l'issue duquel il est libre de pouvoir entamer sa nouvelle vie.


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***


Tout est prêt. L’enveloppe est posée sur la table de chevet. La célébration va pouvoir commencer.


Son mari Tim, les enfants et Marlène, sa maman sont présents. Ils sont tristes, mais courageux. Ils ont chacun préparé un petit mot et l’Officier de la cité est présent pour s’assurer que la procédure se déroule correctement.


Fanny a le cœur gros. Elle sait qu’elle leur fait de la peine, mais elle sait aussi qu’ils n’auront plus le souvenir de sa perte dans quelques minutes. Un mauvais cap à passer.


Elle ne peut plus continuer comme ça. Il lui a fallu un temps pour se faire à l’idée, mais le Programme d’effacement est le seul échappatoire à sa détresse.


Passer sa journée à se demander ce qu’on fout là, c’est pas une vie, vous comprenez ?


Hugo, son fils, a 11 ans, presque un homme. Il entrera dans le Programme d’émancipation l’année prochaine. Il est tellement mature. Il va pouvoir se choisir une formation et commencer à être utile à la Cité. Elle sait qu’il en meurt d’envie. Il a toujours été volontaire.


Sarah, sa petite dernière, n’a que 4 ans. Elle a les yeux doux et une aura solaire. Fanny lui souhaite de trouver plus facilement sa place. C’est toujours compliqué pour les femmes, même si beaucoup de choses ont été mises en place depuis l’arrivée du Grand Ordonnateur. Quand Fanny y pense, elle n’en revient pas d’avoir connu l’avant et l’après son arrivée. Tant de choses ont changé !


Ses parents ont eu plus de mal. L’ancienne génération a subi de nombreuses pertes. Trop de bouleversements, trop de radicalité. Un mal pour un bien disait le Conseil de la Cité. L’état d’urgence avait été enclenché, et tout le monde sait que dans ce genre de situation, il y a des dommages collatéraux. Le père de Fanny avait été l’un d’entre eux. Depuis, Marlène vivait en communauté avec d’autres personnes issues de sa génération. Elle semble s’être adaptée même si le fond de ses yeux recèle encore beaucoup de tristesse. Cette réalité n’apparait pas dans les rapports d’activités de la Cité.


Après avoir passé plusieurs années à se demander si ses choix de vie étaient les bons, Fanny est arrivée à la conclusion qu’elle n’était pas là où elle devait être. Elle avait donc entamé les démarches. Tim a été bouleversé quand elle lui avait annoncé la nouvelle. Le pauvre, il ne s’y attendait pas. Elle se rassure en se disant que lui aussi ne souffrirait plus longtemps. Elle le regarde. Il a les yeux de quelqu’un qui a l’âme déchirée par le chagrin. Elle aimerait qu’il comprenne et qu’il lui pardonne, mais elle sait qu’il n’y parviendrait pas. Pas avant l’injection. Elle est son grand amour.


Finalement, mieux valait qu’elle se fasse effacer et que son absence soit atténuée par la solution, plutôt qu’ils soient séparés par la mort et qu’il doive faire face au deuil, seul et sans aide. Certains animaux se laissent mourir quand leur partenaire décède. Tim fait partie de cette catégorie. Oui, finalement c’est mieux pour lui comme ça.


La célébration se passe assez vite. Fanny à l’esprit qui tourne à cent à l’heure.


A-t-elle tout prévu ?

A-t-elle fait le bon choix de vie pour la suite ?


Chaque citoyen n’a le droit de réaliser cette procédure qu’une seule fois. Elle se rassure, elle y a beaucoup réfléchi. Elle est certaine de son choix. Demain, elle entamera une carrière de danseuse professionnelle. Fini la comptabilité et les recharges de cartes de crédits. Fini les permanences pour les citoyens désorientés. Elle va embrasser pleinement sa nature artistique. Elle va intégrer la prestigieuse Ecole des Arts du sud de la Cité. Elle a tellement hâte. Fini les attaches familiales qui l’empêchent de vivre pleinement son rêve. La Liberté s’offre à elle. Elle compte bien en profiter.


Un dernier aurevoir. Tim, Marlène et les enfants la serrent contre leurs cœurs. Les adieux sont déchirants mais chacun s’en va, sachant que d’ici quelques instants la douleur aura disparu.


Fanny s’installe sur le lit et l’Officier, très procédurier, lui relit les termes du contrat du Programme. Une dernière validation et c’est en ordre.


« L’ensemble des Officiers, le Conseil de la Cité, le Grand Ordonnateur et moi, Officier Injecteur, vous souhaitons une belle renaissance et beaucoup de bonheur dans votre nouvelle vie. Que vos choix soient judicieux et qu’ils vous mènent sur les rails d’une nouvelle et belle aventure. Adieu Fanny. »


Fanny est détendue, paisible, la solution se fraye un chemin parmi ses vaisseaux sanguins. Ses yeux se ferment, pour se rouvrir dans plusieurs heures. La procédure prend du temps, il faut être patient. Alors elle s’endort, confiante et prête pour le premier chapitre de sa nouvelle vie.

 

A suivre…


Alizé Beaufays

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