- Naissance d'un héros -
- Arnaud Van Dijck
- 17 sept. 2024
- 5 min de lecture
C’est une boum pour l’anniversaire de Suzie. Ce ne sont pas des adultes mais ce ne sont plus non plus des enfants. Cela dit, ils ont tous encore beaucoup à apprendre.
Tenez, Annie par exemple, assise par terre dans les bras de son mec. Elle est amoureuse. Ce n’est pas le premier bien sûr mais cette fois-ci, c’est dans un corps de femme, ce n’est pas pareil.
Elle a toujours eu peur de grandir. Alors sa stratégie c’est de se mentir à elle-même. Mais elle a beau nier l’évidence : elle et ce garçon ont bien des corps d’adultes. Et les adultes, ça pratique des choses…physiques. Elle n’ose même pas prononcer le mot dans sa tête. Oh elle a bien quelques idées qui la traversent, elle a mené quelques expériences par-ci par-là, on a bien le droit d’explorer un peu et d’échanger quelques caresses. Petit pas par petit pas. Mais, sur le plan psychique, elle n’est pas prête pour ‘’le’’ grand saut. Ça la fait même flipper cette histoire. Elle sent que ce serait tourner définitivement une page, qu’elle sentirait ‘’glisser le manteau de l’enfance’’ comme dira la chanson. Mais elle n’a pas fini de l’écrire cette page, elle n’a pas fini de s’y blottir dans ce manteau. Non, vraiment, ce n’est pas le moment.
Mais ce garçon, il y est lui, de l’autre côté de la barrière. Et depuis un bon bout de temps déjà. Lui, sa page elle est tournée depuis belle lurette et je crains qu’il n’ait jamais connu le réconfort du moindre manteau. Il n’a pas eu, lui, une jolie enfance comme Mademoiselle et il n’a pas la moindre idée des conneries de gonzesses pourrie-gâtée qui peuvent bien remplir la tête de sa copine. D’ailleurs, c’est la dernière fois qu’il sort avec une sentimentale. Non, franchement c’est bien joli mais à la longue c’est lourd, quoi.
Mais bon allez, il l’aime bien quand même cette petite et il ne veut pas lui faire de mal. Elle a quelque chose d’innocent, dans le bon sens du terme, quelque chose de pure. Elle lui fait du bien quand ils parlent. Il veut pas la foutre en l’air. Alors il prend sur lui. Il a respecté les étapes. Il s’était même appliqué pour son premier baisé. Il s’est surpris lui-même de sa propre tendresse, tiens. Mais maintenant il en a envie. Putain, ses potes lui mettent la pression en plus, ils vont tout gâcher. Allez, il se lance. Il se rappelle (toujours) de la règle d’or sur le consentement : si elle dit non, ce sera clair, il s’arrêtera. Immédiatement. Il a peut-être faim mais c’est pas un connard. Il pose la question :
- Tu… Tu veux qu’on monte à l’étage pour être plus tranquilles ?
Elle ne veut surtout pas le décevoir. Elle a très envie d’explorer avec lui. D’après ce qu’elle sait de sa réputation, il est beaucoup plus patient avec elle qu’avec les autres filles. Peut-être que elle, il l’aime pour de vrai ? Ils vont monter ensemble pour franchir doucement quelques petits pas, tranquillement, à l’abri des regards. Elle a confiance en lui. C’est certain, il sait qu’elle n’est pas prête pour plus…
…Mais quelle conne !
Au bout du salon, un jeune garçon a observé la scène. C’est Benjamin, le petit frère de Suzie. Il subit cette fête autant qu’il l’analyse. Il n’a que treize ans mais il a compris. Il a vu l’imperceptible grimace sur le visage d’Annie. Annie dont il connait le manque de confiance en elle et dont il sait qu’elle serait capable de tout pour ne pas perdre son torturé de punk chevelu. Et lui aussi il le connait. Il les regarde monter l’escalier pendant que tous les autres dansent sur la musique trop forte.
Arrivés dans la chambre, le garçon verrouille la poignée de porte. Annie commence à avoir peur. Il l’invite à se coucher sur le lit. Elle s’exécute, incapable de prononcer le moindre mot, de faire le moindre geste. Il traduit cela par une approbation, l’autorisation de prendre les commandes, elle n’a pas dit non, c’est ok, elle est juste intimidée par la situation. Oh comme il se trompe. Elle n’a jamais appris à dire non, elle ne sait pas qu’elle peut, elle ne sait pas comment. Elle est prise au piège. Ses effleurements lents et tendres se transforment en gestes fébriles et impatients. Si elle croyait encore qu’il ralentirait le rythme, elle comprend maintenant qu’il est déterminé. Elle se hait, soudain. Petite Conne. Qu’est- ce que tu croyais ? Il te l’a posé la question ! Tu es bien douée de parole dis-moi ? Tu as bien des cordes vocales fonctionnelles, il me semble ? Regardez-moi, ça : pétrifiée. Tu n’es plus capable même de bouger. Pardon ? Ah tu ne voulais pas que ça se passe comme ça ? Ah ben dommage, tiens ! C’est con, hein ! C’est affligeant surtout… En quelques secondes, il l’a entièrement déshabillée et arrache l’emballage d’un préservatif avec ses dents. Des larmes coulent sur les joues d’Annie, dernière preuve qu’il y a bien quelqu’un de vivant dans ce corps.
Alors ce corps décide de se sacrifier et lui dit à elle-même :
- Allez barre-toi, je gère. Regarde pas. Sors d’ici.
- Oh je suis si désolée !
- Barre-toi j’te dis !
Elle ferme les yeux. Et elle s’en va. Elle sort de son propre corps parce que c’est trop pour elle. Du plafond, elle regarde une dernière fois le lit avant de détourner le regard, il est bientôt en elle.
Mais, dans le silence sidéré, un cliquetis.
Benjamin est de l’autre côté de la porte. Il est en train de crocheter la serrure comme il l’a souvent fait pour emmerder sa sœur. Ce gars-là, avec qui Annie est monté, il est franchement plus grand que lui mais qu’est-ce que tu veux, il faut bien que quelqu’un la sauve cette conne. Il faut bien un héros, pour Annie ! Putain c’est lui qui fait tout ici... Et il va se faire casser la gueule en prime. Pffff. J’te jure ! La poignée se libère, Ben souffle un grand coup pour prendre du courage et pousse la porte qui s’ouvre avec fracas.
- Alors, Connard ?! Ca va ?! J’te dérange pas ?
Le garçon voit rouge. Il remonte son froc et poursuit le gamin dans les escaliers. Bientôt, celui-ci aura un œil au beurre noir comme remerciement pour son héroïsme.
Annie reprend ses esprits, attrape son corps et ses vêtements pour s’enfuir. Vite, vite, elle veut se rhabiller et descendre se réfugier au milieu de ses copines. Elle pleure. De peur, de soulagement, de honte, tout ça en même temps. Dans l’obscurité, elle cherche sa culotte et tout à coup trouve enfin la situation dramatiquement stupide. Merde, je la vois pas ! De quelle couleur elle était ? Je me souviens plus laquelle j’ai mis. Puis elle la trouve enfin.
C’est une culotte blanche en coton avec des petites fleurs brodée.
Une culotte de petite fille.

Arnaud V.D.
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