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- Nez rouge et mains glacées -

Je m’en souviens comme si c’était hier, c’était la première fois, en tout cas dans cette tenue-là. Tout le monde autour de moi me regardait, je rougissais, des frissons me parcourraient le corps dès que l’idée de devoir me lancer pointait le bout de son nez dans mon esprit. J’étais planté dans un coin pendant que les autres s’afféraient autour de moi. Les uns couraient, les autres criaient, certains, un peu comme moi, restaient plantés, assis sur une chaise un peu bancale devant un miroir se regardant fixement comme si le temps s’était complètement arrêté.


Il y avait de plus en plus de bruit tout autour nous, et certains, les plus anciens, les plus aguerris nous demandaient de nous taire, à grands coups de « chuuuuut », le doigt sur la bouche et le regard accusateur comme si nous étions de petits enfants qui venaient de faire une grosse bêtise. Le brouhaha se faisait de plus en plus fort, un vent froid franchissait le sol et venait nous glacer les pieds. La tension montait de plus en plus jusqu’à atteindre son paroxysme.


Lorsque tout le monde se tut, je me raidis, les deux pieds figés sur le sol, le regard tourné vers le vide, un sourire béat agrafé à mon visage tel qu’il m’avait été appris quelques jours plus tôt.


Cette fois c’est parti, le silence est de nouveau rompu, d’abord un bruit sourd, puis une harmonie composée de quelques notes de musique. Un air connu et entrainant, un grincement de poulie, un peu de poussière et un rideau rouge un peu fatigué qui s’ouvre lentement.


Au deuxième mouvement ce sera mon tour. Lors des répétitions ce temps me semblait interminable tant j’avais envie de jouer et ici, étrangement j’aurais aimé que le temps s’arrête encore un peu. Le nez rouge, les mains glacées, le costume rapiécé, les chaussures trop grandes et le chapeau de travers, je me prépare à entrer sur scène pour la toute première fois dans la peau de ce nouveau personnage. La salle est pleine, les rires se font déjà entendre, je vous laisse, c’est à moi.


A peine le temps de compter jusqu’à quatre et c’est déjà fini, je viens de comprendre le pouvoir de la relativité, le temps est incroyablement flexible, les secondes semblent parfois des heures et les heures défilent plus vite qu’un éclair en plein ciel. Je viens de prendre mon pied et, vu la taille de mes chaussures, ce n’est pas un euphémisme. J’ai la pêche, la banane, ce sourire un peu forcé en début de soirée est maintenant ancré aussi bien qu’encré par le maquillage sur mon visage perlant de l’effort fourni. Un autre moi est né -rouge-, les mains glacées, dans ce costume de scène, le visage peinturluré, le regard pétillant, il s’est fait un nom, une voix, un regard, il se transforme et devient l’autre, celui qui kiffe la scène, celui qui se réchauffe à la lueur des projecteurs, à la chaleur du public, celui qui capte les rires comme de l’énergie solaire.


Une révérence, un petit pas de danse, vivement que le spectacle recommence.



Jean-Jacques Laduron

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