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- Respire -

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L’Autorité parentale a encore eu l’audace de partir avec mon mari au travail. Je l’ai vue à la place du mort, le sourire aux lèvres, qui me faisait un signe de la main quand la voiture reculait dans l’allée. Enfin, quand je dis un signe ’’de la main’’… principalement du majeur en fait. Résultat : ça fait déjà (seulement ?!) trois heures et trente-sept minutes que je m’éreinte à lancer des ‘’Arrêtez de vous battre…’’, ‘’C’est un divan, pas un trampoline.’’, ‘’Stoooooop’’ ‘’Descend de ton frère !’’ et autres remarques inutiles et vaines au milieu des gamins qui se disputent à grands coups de Power-Rangers, de Ninjago ou je ne sais encore quelle autre bêtise télévisée qui apprennent à nos gosses à se taper sur la gueule en hurlant des formules criardes et ridicules.


Mais pourquoi ai-je accepté qu’ils regardent ces conneries, moi ? Ah oui j’me souviens : on ne m’a pas demandé mon avis. On ne me le demande plus depuis longtemps. Pour que mon avis compte, il aurait fallu que j’en aie, de l’autorité. Mais ce n’est pas le cas. Quand mon mari est là, ça ne se ressent pas de trop mais dès qu’il s’absente, c’est d’une évidence cruelle : je n’existe pas. Mon image est invisible, ma voix est un ultra-son, je me transforme en espèce de fantôme. Un être transparent qui traverse la pièce de temps en temps, comme une présence rassurante, que l’on aperçoit si on daigne y prêter attention mais que par facilité l’on préfère nier tout simplement. Nick-quasi-sans-tête.


Le pire c’est le samedi. Parce que c’est pour la journée entière et une journée entière c’est terriblement long pour un fantôme. En plus c’est le jour où je dois gérer la maison. Et elle aussi elle peut gueuler quand elle veut. C’est surtout des agressions visuelles mais ça n’empêche que je les entends dans ma (quasi-pas-de-) tête. La lessive qui pleure ‘’On attend depuis six jours !’’, la vaisselle qui crie ‘’Pitié, lavez-nous !’’, le lave-vaisselle qui répond ‘’Faudrait d’abord me vider’’, le plan de travail ‘’Au secours !’’, les poubelles ‘’On puuuue !’’, le carrelage ‘’On colle !’’, les fleurs ‘’On crève !’’ … C’est un brouhaha sans fin. Y en a que j’entends même plus : les vitres sales ont abandonné leurs plaintes depuis longtemps et les poussières sont classées sans suite dans le rayon quand-j’aurai-le-temps, entre la couture et le rangement du grenier.


A la mi-journée les enfants se souviennent de ma présence : ‘’Qu’est c’qu’on mange ?’’ et là c’est encore d’autres braillements dans ma tête : ‘’Pour une fois, fais leur des légumes.’’, ‘’Quelque chose de sain.’’, ‘’Tu pourrais varier un peu…’’, ‘’Ne dis pas que tu n’as pas le temps, on est samedi bon sang !’’, ‘’Fais vite quand même, il faut prendre le temps de jouer avec eux, leur fabriquer des souvenirs’’ pour de toutes façons en arriver à des cris à table parce qu’ils ne veulent manger que des sandwichs au choco.


Les gosses gueulent, les électro gueulent, les voix gueulent, la télé gueule et finalement ça ne rate jamais : je fini par gueuler moi aussi. Toujours l’ambiance chez nous le samedi… Mimi Geignarde à qui on aurait fait deux gosses.


Et là y a cette petite voix timide, qui n’y croit déjà pas elle-même, qui ose dans ma tête un petit : ‘’Respire’’.


Mais j’peux pas. Je crois qu’ils m’ont fait les poumons trop petits. Y a dû y avoir un problème à l’assemblage, un bug dans la chaîne de production. Je n’ai pas dû recevoir la bonne taille. L’air essaye bien de rentrer mais ça ne passe pas, il déborde et ressort de ma bouche par nausées. Finalement, le phénomène envahit tout mon corps et se fraye un chemin pour couler par mes yeux. Je m’effondre. Idéalement pas devant les enfants. Mais ça arrive parfois.


Voilà. C’est ça le TDA chez une adulte de trente-cinq ans.

-          Attends, c’était pas un TSA, toi, qu’t’avais ?

-          Ouais mais y avait une promo sur le lot, alors tu m’connais, j’ai pas pu résister l’ami.


Coco

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