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- Vérité (enfin) nue -

Dernière mise à jour : 15 avr. 2024

Chacun de nous a une petite voix dans la tête, ou plutôt au-dessus de la tête. Un mini être invisible et impalpable qui flotte à quelque chose comme cinq ou dix centimètres au-dessus de notre crâne. Une espèce de compagnon de tous les instants qui est en fait simplement nous.


Nous, mais sans filtres, sans restrictions. Il dit ce que nous pensons, vit nos émotions sans les cacher, fais des gros fucks dans le dos de notre chef. Même pas dans son dos d’ailleurs, il peut se permettre de les lui faire en face. Et même de lui montrer son cul en dansant la lambada si ça lui chante. C’est nous, mais en libre.


Il est notre vraie nature, notre nous à poil. Il porte aussi tous les défauts que nous cachons aux autres. Vous êtes un vrai chaud lapin mais vous tentez de faire bonne figure ? Vous écouterez attentivement la demoiselle vous raconter sa vie en sirotant gentiment votre verre pendant que lui sera déjà en train de la déshabiller avec frénésie. Vous êtes une colérique refoulée ? Vous expliquerez calmement à votre enfant le fait que le marqueur ce n’est pas fait pour colorier le mur de l’escalier alors qu’elle aura déjà lancé le mioche par la fenêtre et se sera servie un rosé sur la terrasse. Si vous êtes timide mais que vous vous soignez, il se cache dans sa niche dès que vous prenez bravement la parole, ce couillon… Mais si au contraire vous êtes un héros en devenir, il vous montrera déjà l’exemple en attendant que vous ayez le courage de vous lancer.


Certains lui parlent réellement, se faisant parfois passer pour fous aux yeux de ceux qui manquent de fantaisie. D’autres en ont peur et le nient complètement, ils croient pouvoir avancer seul, vraiment tout seul. Je trouve ça un peu triste. Et d’autres encore en ont carrément plusieurs. Et ça passe la journée à rigoler, papoter, débattre ou partager leurs angoisses en mode thérapie de groupe, sans même s’inquiéter de l’humain qui vit en dessous d’eux…

 

Martine (prénom d’emprunt, évidemment, qui s’appelle vraiment Martine ?) avait une bonne relation avec sa Petite Voix mais elle sentait bien que, depuis toute petite, quelque chose ne tournait pas rond. Sa Petite Voix semblait tantôt stressée, tantôt à l’affut, ou encore dépressive. Contrairement aux autres petites voix, celle de Martine ne vivait pas libérée, pas légère, elle portait au contraire de nombreux vêtements lourds et chauds qui la cachait aux yeux même de Martine et était toujours recroquevillée sur un minuscule tabouret. Du coup, elles ne se comprenaient pas vraiment l’une l’autre. Elles cohabitaient évidemment par la force des choses mais réellement, elles ne se connaissaient pas.


Très vite, le mal-être de la Petite Voix atteint le moral de Martine et l’empêcha d’évoluer sereinement. Bien sûr, Martine, honteuse d’avoir une Petite Voix défaillante mais aussi attentive à épargner celle-ci de souffrances supplémentaires, mettait tout en œuvre pour cacher sa différence et appris rapidement à s’adapter. S’adapter quoi qu’il arrive. S’adapter même si elle ne comprenait pas. S’adapter encore et toujours. C’était épuisant.


Un jour, Martine, n’y tenant plus, coinça sa Petite Voix dans un coin et lui fit doucement violence. Elle l’emmena d’abord chez une psy, puis chez une autre, puis encore une autre et d’autres après elle. La première retira le bonnet que la Petite Voix maintenait depuis toujours sur ses yeux. Leurs regards se croisèrent enfin. Martine eu la sensation qu’elles allaient bien s’entendre. La seconde lui appris à respirer sans cette lourde écharpe molletonnée. Martine l’entendit rire pour la première fois. La suivante entreprit de déboutonner lentement le gros manteau qu’elle croyait la protéger du froid. (Mais les petites voix ne craignent pas le froid, voyons.) Cela lui permit de se dégourdir les épaules. Petit à petit tombaient par-ci par-là un gant, une chaussette parfois même carrément le pull ou la longue jupe épaisse… Au final, la Petite Voix se retrouva quasi nue…

Ah, tiens… Non. Qu’est-ce que… ? C’est quoi ce machin ? Elle portait sous tous ces vêtements encore quelque chose. Une sorte de deuxième peau, comme un tissus très fin, presqu’un linceul…

Martine commençait à se décourager.


C’est alors qu’une dernière psy chuchota finalement quelque chose à l’oreille de la Petite Voix … : ‘’Je crois que vous êtes autiste, Madame.’’



La Petite Voix se tourna lentement vers elle, les yeux écarquillés, la bouche entre-ouverte. Les petits rouages dans sa propre tête se mirent à tourner à pleine vitesse au fur et à mesure qu’elle comprenait, intégrait et pesait cette nouvelle. Toujours méfiante, elle se redressait néanmoins sur son tabouret et semblait reprendre vie.


Le jour où le diagnostic officiel tomba, elle se dressa enfin de toute sa hauteur et le linceul glissa sur le sol avant de tomber en poussière. Elle s’étira de tous ses muscles et fit craquer bruyamment ses articulations. Puis, elle se pressa de descendre d’un étage pour plonger ses yeux dans ceux de l’humaine qui la portait depuis tant d’années et, dans un sourire, lui transmis toutes les réponses qu’elle attendait et balaya tous les doutes qu’elle avait.


Martine lui sourit en retour et lui chuchota calmement ‘’Je te vois. Je te comprends. Je ne t’en veux pas. Je suis là. Et je t’aime.’’


Colombine Grede

Yorumlar


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