- Au coin du feu -
- Colombine
- 13 janv. 2024
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 15 avr. 2024
Parmi tous les feux qu’on l’on connait, il en est un que j’affectionne tout particulièrement. Au-delà de l’allure impressionnante et bien au-dessus de l’aspect réconfortant qu’ont toujours eu les feux, aussi banals soient-il, celui dont la chaleur des souvenirs ne tarira jamais dans mon cœur dépasse de loin tous les autres, si ordinaires et orgueilleux. Celui-ci n’est pas domestiqué dans une cassette. Il n’est pas non plus apprivoisé pour servir un four. Comme il n’est pas plus enfermé dans un poêle en fonte. Non.

Celui-là est libre, libre comme l’air. Il crépite, il chante même, il vit sa meilleure vie. Malgré qu’il soit de taille modeste, il s’élève de toute sa puissance vers le ciel et le touche néanmoins. Ses petites étincelles, se moquant bien de l’attraction terrestre à laquelle nous sommes tous condamnés, s’échappent de lui dans une danse doucement virevoltante et semblent se défier l’une l’autre de monter plus haut encore en perçant la nuit noire de leur lueur aussi intense qu’éphémère.
Dans la beauté de sa danse, il nous invite à nous recueillir, à nous rassembler auprès de lui. Ce feu n’a pas de coin en fait. Il est rond, de sorte qu’on l’entoure. Du même principe que la Table ronde des Chevaliers : on est tous égaux, on se voit tous, on partage tous ce feu qui est ‘’en nous’’.
Le but de ce feu est de tromper la nuit. Cette nuit, on ne dort pas. Non, non, on est là. On attend le soleil. Il nous a dit qu’il reviendrait bientôt. Et aujourd’hui on a envie de l’attendre. Alors on a mis sa chaleur dans ce feu qui nous accompagne. On va traverser la nuit au milieu de cette clairière comme on traverse les océans à bord d’un paquebot.
Le silence ? Non, écoute. Le feu chante. Et on ne va pas tarder à sortir les guitares et à chanter avec lui.
La pénombre ? Non, regarde : le feu va chatouiller jusqu’aux troncs des arbres qui nous entoure.
Le froid ? Tu plaisantes ? Sens tes joues, maintenant tu portes le feu en toi.
Les autres ? Oh, eux ? Ils dorment bien sûr. Ils ont d’abord regardé leur télé ou écouté les infos, ils ont vérifié que la porte était bien fermée et ils sont allés se coucher. Ce ne sont que de pauvres moldus. Mais nous qui sommes là, nous sommes des pirates !
Regarde, tout le monde est là. Il y a cette femme souriante qui se réchauffe les pieds. Il y a cet homme qui la regarde timidement et qui cherche ses mots. Il y a ce vieux couple tendre blottit l’un contre l’autre, amoureux comme au premier jour. Il y a ce gamin qui s’est promis de tenir jusqu’au lever du soleil et qui lutte pour pouvoir se vanter à l’école lundi. Il y a ce type ronflant qui a trop bu et qui lui, pour le coup, ne lutte plus. Il y a ce bambin emmitouflé, fasciné par le brasier et bien décidé, lui aussi, à tenir bon. Et derrière, il y a sa mère qui a déjà préparé un nid douillet dans une petite tente et s’apprête à le mettre au lit. Il y a ces adolescents qui prouvent leur bravoure en sautant par-dessus les flammes et ces minettes qui les regardent avec un mélange de peur et d’admiration. Il y a ce playboy aux muscles saillants qui s’est missionné de maintenir les braises en y lançant les bûches dans des gestes impressionnants. Il y a l’autre playboy, dont l’atout physique semble plutôt être la chevelure et qui a tout misé sur les deux accords de guitare qu’il connait. Il y a cette belle jeune fille qui les regarde tous les deux avec un air amusé. Il y a ces deux copines qui grillent des marshmallows en rigolant. Il y a aussi l’ancien qui observe tout ce petit monde, satisfait d’avoir transmis ses valeurs, d’avoir passé le flambeau en somme. Et puis il y a tous les autres, bien sûr : les fantômes de ceux qui sont partis mais qui reviennent sans faute dès qu’on rallume le feu.
Et si tu laisses un moment ton regard s’y plonger, ses flammes se perdront dans tes pupilles et tu verras mieux encore. Tu verras tous les Hommes qui, comme nous ce soir, se sont tenus ensemble auprès de lui depuis la nuit des temps, sous les étoiles qui n’ont pas bougé depuis.
Colombine
Comments