- Nez rouge et mains glacées -
- Colombine
- 15 déc. 2024
- 3 min de lecture
Notre institutrice maintient difficilement le peu d’attention que nous lui accordons encore. Elle s’apprête à jeter l’éponge, de toute façon la bataille est vaine… Il a neigé. Et pas un peu.
Le premier flocon, timide d’abord, est tombé sur les coups de neuf heures et n’est pas passé inaperçu : ‘’Hééééé ! Regardez dehors ! Il neige !!!’’ Tout le monde a collé son nez sur la vitre en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire. Madame a levé les yeux au plafond, soufflé doucement et nous a regardés avec une bouche tordue et les bras croisé, son pied tapotant le sol, attendant que nous reprenions sagement nos places. Mais déjà, elle savait que c’était foutu pour le restant de la journée.
A la récré de ce matin, les discussions allaient déjà bon train sur le sujet. La neige va-t-elle tenir ? Si oui, y en aura-t-il beaucoup ? Combien de temps avons-nous à midi pour jouer ? Et si on ne mange pas nos tartines, on gagne combien de minutes, tu crois ? T’as quoi toi comme gants ? Brrr tu vas cailler avec ça. On fera quoi ? Une bataille ou un bonhomme ? Non ! Un igloo !! Oh ouais, super !

En revenant dans la petite classe, Madame nous avait conseillé de ne pas trop nous emballer. La neige ne semblait pas tenir, peut-être aura-t-elle complètement disparu pour midi, nous avait-elle dit après nous avoir indiqué la page du livre d’histoire. Et puis, comme si le ciel l’avait entendu et avait été piqué d’un défi, il se mit à neigé bien plus fort, avec de gros flocons, si bien qu’on n’y voyait plus à trois mètres de la fenêtre. Un rideau blanc que le ciel jetais devant nos yeux comme pour garder la surprise du spectacle qu’il nous préparait. ‘’Ecoutez bien votre leçons les gosses, je m’occupe de tout.’’
Et là, le rideau vient juste de se lever. Le parc qui entoure notre petite école isolée est entièrement recouvert d’une épaisse couche immaculée. Malgré tout le respect que nous portons à Madame, plus personne ne tient en place. C’est presque cruel d’encore nous bassiner de guerre de 14 alors que Dehors nous attend. Finalement, Madame s’en rend compte et rend les armes gentiment : - ‘’Bien, maintenant, dans-le-calme !, vous allez remettre vos chauss…’’ Pas le temps de finir sa phrase que dans un brouhaha impressionnant et cependant bien organisé les pantoufles volent pour faire place aux bottines, vite les gants, écharpes, bonnets, manteaux… Viiiiite, on n’en peut plus d’attendre !
On se jette alors tous sur la cour où très vite, comme un groupe de petits entrepreneurs, les équipes s’organisent. La méthode est simple et efficace : ceux qui ont des gants en laine prépareront des énormes boules en se promenant dans tous le champ et les pousseront jusqu’au centre où les moufles imperméables les placeront en cercle et colmateront les interstices à la main.
Au bout d’une heure de dur labeur, notre igloo a pris forme. Et il est beau comme tout !
…Tiens, mais on n’a pas mangé, finalement. Il semblerait en effet que Madame soit plongée dans ses corrections et ait oublié de sonner la fin de la récré. Si on retourne chercher nos tartines, elle va certainement nous garder en classe… ‘’Oui mais euh… j’ai faim moi. Ça creuse de bosser comme des bêtes’’. Et si on l’invitait à manger dans notre château ? Elle ne pourra pas refuser !
Les tartines furent récupérées et l’invitation reçue fût poliment éconduite (Madame n’était pas équipée pour un repas au sol), pas sans une visite complète du monument et les félicitations d’usage aux architectes, bien entendu. Nous pique-niquâmes donc dans notre donjon. Nous avions tous, gants ou moufles, les mains glacés et le nez bien rouge mais nous étions assis en cercle dans notre forteresse. Nous étions fiers et tellement heureux.
Et tu sais le meilleur ? On a eu le temps ensuite de faire une belle bataille (où la forteresse fût d’une grand utilité) et même finalement un bonhomme de neige. Ce n’est que quand les parents se sont pointés qu’on s’en ait vraiment rendu compte : elle nous avait laissé jouer tout le restant de l’après-midi.
Merci Madame pour ce souvenir impérissable. Et encore pardon pour la guerre de 14.
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