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- Réveillée en sursaut -

Elle est revenue aussi soudainement qu’elle n’avait été oubliée. Pourtant rien n’aurait pu m’aider à l’apercevoir, à la voir arriver.


Je rentrais comme toutes les fins d’après-midis jusque chez moi. Mon bus croisait celui de mes enfants, on se faisait signe à travers nos vitres pour se retrouver. Leurs sourires embués. Quand je suis descendu, mon oreille a croisé une discussion entre deux jeunes adultes. « À ce soir ! » a lancé l’un des deux. Ça m’a fait sursauter. Comme une décharge produite par un souvenir, une sensation de déjà vécu.


Chez moi avec ma tribu, chacun s’activait déjà pour que la journée se termine de la meilleure façon et par la même occasion que le weekend débute en joie. Ma compagne tentait de retrouver son sac à dos de randonnée. « Mais oui, tu sais bien, le mauve que j’avais pris l’été dernier ! » me glissait-elle en demande de l’aide. Notre ainée avait déjà embarqué son petit frère dans une sélection de films à revoir absolument pour la centième fois. Juste pour être sûr, pour profiter des mêmes frissons de rire et d’aventure. Et notre garçon avait directement accepté. Avec la condition de faire des pop-corn comme une vraie séance de cinéma.


De mon côté, je préparais le repas, installé dans mes pensées, un album de compilation musicale en fond. « À ce soir ! ». Cette phrase me revenait en tête comme une injonction, presque comme un avertissement. Il était loin ce temps où j’échangeais ce genre de promesse d’un vendredi soir avec mes amis de bar, mes amis de sortie. L’époque où le but à atteindre n’était que l’ivresse et les plaisirs qui en découlaient. Des discussions aux prémices sérieuses et au final délirant. Des rencontres éphémères d’un coin de fou-rire. Des langues de vipères sur les personnes qu’on voulait garder en vue comme un feuilleton dramatique. Et toujours cette connivence, toujours cette chaleur d’amitié qui nous faisait croire que rien ne changerait, qu’on affronterait l’éternité sans jamais s’en lasser. La joie de ces soirées, les remords du lendemain à la tête en marteau-piqueur.


À table, ma compagne m’expliquait sa fin de semaine pendant que les enfants jouaient à des devinettes spontanément inventées. J’essayais de me concentrer sur la conversation de la femme de ma vie, mais rien n’y faisait. Mes pensées restaient accrochées à ce parfum de nostalgie. Elle remarqua ma distraction lorsque je me mis à rire à l’approche d’un souvenir alors qu’elle me racontait une anecdote emplie de tristesse concernant sa collègue. Quelques excuses et le repas repris son cours.


 « À ce soir ! »


L’écho venait à nouveau de cogner mon esprit. C’est là que mes neurones se sont mis à s’exciter. Je le savais bien. Elle s’était réveillée en sursaut en descendant du bus et elle ne me quittait plus. L’Envie de sortir. L’Envie de faire la fête et de revoir des amis. Cette Envie me persuadait en un murmure à l’oreille qu’il me suffisait de passer un coup de fil, d’envoyer quelques messages et les potes sortiraient de leur tanière. Et la soirée serait à nous. Je l’avais déjà reproduit. Plusieurs fois. Avec le même goût de débordement, de fois de trop.



J’ai posé mon regard sur le spectacle de l’instant présent qui s’offrait à moi dans le salon. Le rire de mes enfants, ma femme lovée dans le fauteuil sous son plaid. Qu’elle était belle. Les murmures de mon envie disparaissaient déjà alors que je contemplais la douceur de notre maison. Pas de remords du lendemain, pas de douleur du front à la nuque, pas d’illusion d’éternité, pas de faux-rires avec des personnes éphémères. Non, que du vrai, que du Nous. Ce qui me séduisait le plus chaque jour dans ma vie, c’était ce que l’on avait réussi à construire avec uniquement des briques de bonheur. Et pas des brindilles de plaisir.

L’Envie s’endormit et je rejoignis ma famille, mon bonheur d’une vraie éternité.


Christobalt Mitrugno

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