- Douche froide -
- Colombine
- 12 févr. 2024
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 15 avr. 2024
Nous sommes dans le jardin de notre enfance, un après-midi d’été. Bonne excuse du jour : trente-deux ans de Titi. Le gazon sur lequel nous nous amusons aujourd’hui encore a connu des anniversaires d’enfants, des fêtes d’ado, des apéros d’adultes...
Le temps est passé, une autre génération a maintenant les clés de la maison, mais notre petite pelouse n’a pas le temps de s’en apercevoir, elle continue de recevoir. C’est un jardin simple, il n’est pas très grand, il n’est pas très plat et il n’est pas très prétentieux. L’essentiel y est : Nous.

Le Bonheur est là lui aussi. Je l’ai vu tantôt qui jouait avec les enfants sur les épaules des garçons. Là maintenant il doit trainer autour du barbecue avec mes frères, à moins que ce soit lui que j’aperçois au loin dans un éclat de rire de ma Maman.
Moi, je sirote un verre avec mes sœurs, je profite de l’Ici et Maintenant. J’avoue, je toise aussi le moment où on commencera à danser. Ca fait si longtemps que ce n’est pas arrivé, j’ai déjà les orteils qui frétillent. J’ai fait mon repérage : tous les éléments sont en places. The Tonton Sono est aux platines. Je le vois penser d’ici en grattant sa barbe : ‘’Mmmh… rien de trop entrainant pour l’instant. S’ra ‘core temps après l’barbec de faire monter la sauce.’’ Tati Cricri, elle, ne tient déjà plus en place. Moi, ça va, je gère, je cache encore mon jeu. Je jette un œil à Caro, elle fait semblant de rien elle aussi. Je vais lui resservir un verre… On installe les salades, elle se dandine légèrement. Les viandes sont cuites, elle balance sa tête en rythme. On passe à table, c’est à peine si elle n’y va pas en pas chassés. C’est bon, elle est mûre.
La compagnie est encore meilleure que le repas, ça me retire le dernier morceau de balais que j’avais entre les fesses. Un œil aux paramètres : Tati a fini de manger (de toutes façons elle ne s’est même pas assise) et elle est déjà en train de bousculer Tonton qui se plaint d’avoir encore faim. Voyons Caro : à point. Retour sur Tati : elle a réussi à lever le maitre de cérémonie qui se dirige vers son ordinateur. Je ne cache plus mon excitation, ça y est, ça va danser !
Et là. Un truc que je n’avais pas vu venir et pourtant il était gros comme une montagne : un nuage noir recouvre entièrement le ciel. En un tour de poignée de robinet, il ouvre les vannes et nous envoie les chutes du Niagara sur la figure. C’est la douche froide sur la tablée. Chacun se met à courir dans tous les sens en criant, sauvant au passage son verre ou un plat de pâtes. En moins d’une minute, on se retrouve tous dans le petit garage, coincés entre les baffles, les vélos et la tondeuse. Chacun trempé, choqué et la bouche encore à moitié pleine. Merde. Ma partie de danse qui tombe littéralement à l’eau.
Je me faufile entre les convives pour arriver au bord de la dalle de béton, juste à quelques centimètres du rideau d’eau froide et bruyante, pour contempler le désastre : une table abandonnée, des chaises couchées ça et là et une pelouse déserte. Tout le monde le prend avec le sourire, bien sûr et moi aussi mais j’ai quand même du mal à ravaler ma déception. En plus y a justement une super chanson qui commence… Je lance un regard penaud à Caro qui me renvoie la même chose…
Sauf que. Un millième de seconde avant que mes yeux ne quittent les siens, je distingue quelque chose. Un sourire. Petit au début. Qu’est c’que c’est ? Mais… C’est… de la malice ? Le sourire grandit. Je regarde l’immense mur d’eau qui se dresse devant nous puis la regarde à nouveau. Je vois maintenant encore mieux dans son sourire : un défi ! Elle soulève une jambe, lance son pied sous la flotte et ses yeux me crient ‘’Alors, Poule mouillée ?! On y va ?!!!’’
Mon pied et mon sourire lui font maintenant miroir et on se lance sous la douche devant les regards ébahis. Putain c’est froid ! Mais dans mon cœur, putain c’est chaud ! Putain que j’ai bon ! Très vite, nous nous débarrassons du superflu : le pull, les sandales et la honte. Les autres applaudissent notre folie et Tonton monte le son pour qu’il surplombe la drache. Entendant ça, le Bonheur, qui était parti pisser, déboule sur la piste et nous met le feu aux joues.
Ma sœur, le Bonheur et moi, ici et maintenant, sur cette pelouse… Vas-y, Jupiter, fais péter, la nuit ne fait que commencer !
Colombine Grede
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